Douville (Dordogne) a été privée d'eau potable cinq jours durant. A cause de la sécheresse et de la surconsommation, les réserves du château d'eau étaient taries
Par YANN SAINT-SERNIN
La Provence décrite par Pagnol dans « Manon des sources » en Périgord… C'était un peu la situation de Douville, où il est à nouveau possible de consommer l'eau du robinet. PH. LOÏC MAZALREY
Dans la campagne autour de Douville, en Dordogne, la végétation est toujours verdoyante. Un effet des pluies de juillet. Pourtant, samedi en début d'après-midi, ce qui devait arriver arriva : le château d'eau était vide. Enfin, il restait 34 centimètres d'eau dans le réservoir haut de près de 6 mètres. La crise. Et les 407 foyers du syndicat des eaux de la commune (près de 1 500 personnes) ont connu jusqu'à hier soir un avant-goût de ce que serait une pénurie en eau potable.
Du fond de son potager, un villageois n'est pas très étonné. Son puits fait grise mine. Ses salades aussi. « Samedi soir, on nous a dit de ne pas consommer l'eau du robinet et que des bouteilles allaient être distribuées dans la salle des fêtes. » Ça a duré jusqu'à hier en fin d'après-midi. Personne n'est mort de soif. « On a fait les cafés avec des bouteilles d'eau. Les clients nous ont fait confiance », explique la patronne du restaurant du village. Certains n'y ont d'ailleurs pas cru. « Au départ, lorsque j'ai reçu un coup de téléphone pour me dire de ne plus boire l'eau, j'ai cru à un canular. » D'autres n'ont pas écouté le message, croyant avoir affaire à une publicité d'une société d'eau concurrente qui abreuve les répondeurs ces derniers temps.
Les deux sources de surface qui alimentent le syndicat des eaux étaient effectivement mal en point. « L'une d'elles produit habituellement 14 mètres cubes par heure. Depuis le printemps, nous sommes en alerte. Et, vendredi, elle est tombée à 7 mètres cubes. Pendant ce temps, la demande affleurait les 30 mètres cubes par heure », explique Jean-Christophe Studer, responsable de la Lyonnaise des eaux, qui gère le réseau dans le secteur.
Analyses bactériologiques
« Le risque était de voir les sources stopper net », poursuit le maire et président du syndicat des eaux de la commune, Claude Fédou. De quoi faire passer un sale week-end à une armada d'agents et de spécialistes. Une cellule de crise a dû être montée avec la préfecture, l'Agence régionale de santé, les élus de la commune ainsi que le délégataire du syndicat. « Il fallait réapprovisionner le château d'eau, c'était vital », explique le maire. Toute la nuit de samedi à dimanche, des camions-citernes ont effectué des rotations entre Douville et le syndicat de la commune voisine de Vergt. « Il a fallu aller chercher des camions en Gironde, car en Dordogne aucun n'avait d'autorisation de circuler. Nous avons vraiment rodé un plan de crise », poursuit l'édile. Il a également fallu faire des tests afin de s'assurer que l'eau convoyée n'était pas porteuse de bactéries. C'est ce qui a produit l'interdiction de boire l'eau du robinet jusqu'à hier, lorsque les derniers résultats sont tombés, confirmant que l'eau était sans danger.
Les raisons de ce branle-bas de combat ? « Le tirage était trop important pour la saison. Malgré les avertissements, la demande a été trop forte durant le week-end. Notamment dans les zones touristiques, comme les hôtels, les campings. Il y a aussi quelques agriculteurs qui ont dû arroser les plantations de fraises », explique Jean-Christophe Studer. D'autres pointent également « les piscines des résidences secondaires ».
70 % de déficit d'eau de pluie
Même lors de la grande sécheresse de 1986, on n'en était pas arrivé là. « Il faut savoir qu'en 1986 il y avait 331 habitants dans la commune. Aujourd'hui, nous sommes 500. L'été la population double et le réseau reste le même », déclare Claude Fédou.
Mais le fait d'être plus nombreux à se partager l'eau n'explique bien sûr pas tout. À quelques centaines de mètres du village, Jean-Marc Ducros, agriculteur, se désole devant une fontaine à sec. « Je me souviens, gamins, nous buvions de l'eau ici, après les foins. Je ne l'avais jamais vue tarie, cette source, et mon père non plus. » Elles seraient plusieurs dans la commune, réduites à de la terre sèche. Ici, les orages sont passés de l'autre côté du bassin-versant. Ils n'auraient pas suffi à améliorer la situation. « Nous sommes à 70 % de déficit pluviométrique depuis octobre », explique Michel Lassimouillas, de la Chambre d'agriculture de la Dordogne. Les prélèvements d'eau de surface sont rigoureusement interdits pour l'arrosage. « La situation est critique. Même si les nappes ne semblent pas touchées en profondeur, il faudra du temps pour régénérer les sources, d'autant que nous entrons en période d'étiage », poursuit le responsable de la Lyonnaise des eaux.
En urgence, Douville s'est raccordée ce week-end au réseau du syndicat voisin, qui dispose d'un forage plus profond. « Nous n'allons pas multiplier les forages jusqu'à épuiser toutes les réserves. Il faut une prise de conscience collective », analyse Claude Fédou.
André, 71 ans, se souvient d'avoir vu pire. C'était en 1949. Cette année-là, la Crempse, le cours d'eau qui traverse le village, s'était complètement tarie. Cela ne s'est jamais reproduit. « On n'est pas morts de soif. On se débrouillait. Il y avait beaucoup de fontaines, tout le monde avait un puits », explique le vieil homme. Et de conclure : « Mais de toute façon, aujourd'hui, à cause de la pollution, ces eaux-là ne sont plus potables. »
Du fond de son potager, un villageois n'est pas très étonné. Son puits fait grise mine. Ses salades aussi. « Samedi soir, on nous a dit de ne pas consommer l'eau du robinet et que des bouteilles allaient être distribuées dans la salle des fêtes. » Ça a duré jusqu'à hier en fin d'après-midi. Personne n'est mort de soif. « On a fait les cafés avec des bouteilles d'eau. Les clients nous ont fait confiance », explique la patronne du restaurant du village. Certains n'y ont d'ailleurs pas cru. « Au départ, lorsque j'ai reçu un coup de téléphone pour me dire de ne plus boire l'eau, j'ai cru à un canular. » D'autres n'ont pas écouté le message, croyant avoir affaire à une publicité d'une société d'eau concurrente qui abreuve les répondeurs ces derniers temps.
Les deux sources de surface qui alimentent le syndicat des eaux étaient effectivement mal en point. « L'une d'elles produit habituellement 14 mètres cubes par heure. Depuis le printemps, nous sommes en alerte. Et, vendredi, elle est tombée à 7 mètres cubes. Pendant ce temps, la demande affleurait les 30 mètres cubes par heure », explique Jean-Christophe Studer, responsable de la Lyonnaise des eaux, qui gère le réseau dans le secteur.
Analyses bactériologiques
« Le risque était de voir les sources stopper net », poursuit le maire et président du syndicat des eaux de la commune, Claude Fédou. De quoi faire passer un sale week-end à une armada d'agents et de spécialistes. Une cellule de crise a dû être montée avec la préfecture, l'Agence régionale de santé, les élus de la commune ainsi que le délégataire du syndicat. « Il fallait réapprovisionner le château d'eau, c'était vital », explique le maire. Toute la nuit de samedi à dimanche, des camions-citernes ont effectué des rotations entre Douville et le syndicat de la commune voisine de Vergt. « Il a fallu aller chercher des camions en Gironde, car en Dordogne aucun n'avait d'autorisation de circuler. Nous avons vraiment rodé un plan de crise », poursuit l'édile. Il a également fallu faire des tests afin de s'assurer que l'eau convoyée n'était pas porteuse de bactéries. C'est ce qui a produit l'interdiction de boire l'eau du robinet jusqu'à hier, lorsque les derniers résultats sont tombés, confirmant que l'eau était sans danger.
Les raisons de ce branle-bas de combat ? « Le tirage était trop important pour la saison. Malgré les avertissements, la demande a été trop forte durant le week-end. Notamment dans les zones touristiques, comme les hôtels, les campings. Il y a aussi quelques agriculteurs qui ont dû arroser les plantations de fraises », explique Jean-Christophe Studer. D'autres pointent également « les piscines des résidences secondaires ».
70 % de déficit d'eau de pluie
Même lors de la grande sécheresse de 1986, on n'en était pas arrivé là. « Il faut savoir qu'en 1986 il y avait 331 habitants dans la commune. Aujourd'hui, nous sommes 500. L'été la population double et le réseau reste le même », déclare Claude Fédou.
Mais le fait d'être plus nombreux à se partager l'eau n'explique bien sûr pas tout. À quelques centaines de mètres du village, Jean-Marc Ducros, agriculteur, se désole devant une fontaine à sec. « Je me souviens, gamins, nous buvions de l'eau ici, après les foins. Je ne l'avais jamais vue tarie, cette source, et mon père non plus. » Elles seraient plusieurs dans la commune, réduites à de la terre sèche. Ici, les orages sont passés de l'autre côté du bassin-versant. Ils n'auraient pas suffi à améliorer la situation. « Nous sommes à 70 % de déficit pluviométrique depuis octobre », explique Michel Lassimouillas, de la Chambre d'agriculture de la Dordogne. Les prélèvements d'eau de surface sont rigoureusement interdits pour l'arrosage. « La situation est critique. Même si les nappes ne semblent pas touchées en profondeur, il faudra du temps pour régénérer les sources, d'autant que nous entrons en période d'étiage », poursuit le responsable de la Lyonnaise des eaux.
En urgence, Douville s'est raccordée ce week-end au réseau du syndicat voisin, qui dispose d'un forage plus profond. « Nous n'allons pas multiplier les forages jusqu'à épuiser toutes les réserves. Il faut une prise de conscience collective », analyse Claude Fédou.
André, 71 ans, se souvient d'avoir vu pire. C'était en 1949. Cette année-là, la Crempse, le cours d'eau qui traverse le village, s'était complètement tarie. Cela ne s'est jamais reproduit. « On n'est pas morts de soif. On se débrouillait. Il y avait beaucoup de fontaines, tout le monde avait un puits », explique le vieil homme. Et de conclure : « Mais de toute façon, aujourd'hui, à cause de la pollution, ces eaux-là ne sont plus potables. »
« Les niveaux sont historiquement bas » dans tout le paysLe Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'établissement français des géosciences, vient de livrer sa synthèse sur l'état des nappes phréatiques au 1er août. Malgré les pluies de juillet, 67 % des points contrôlés font apparaître un déficit. Spécialiste des nappes souterraines au BRGM, Ariane Blum explique les raisons de cette situation.
« Sud Ouest ». Le niveau très bas des nappes est-il exceptionnel ?
Ariane Blum. À l'échelle hexagonale, nous vivons une situation exceptionnelle, avec des niveaux historiquement bas. C'est variable d'une nappe à l'autre, voire d'un point de contrôle à un autre, mais la situation est particulièrement tendue sur les bassins parisien et aquitain. Le nord de Rhône-Alpes nous inquiète aussi. Dans ces régions, les nappes se rechargent très lentement.
Quelles en sont les explications ?
Comme en 1976, comme au milieu des années 1990, nous avons été confrontés à une sécheresse qui a commencé très tôt en hiver. Cette fois-ci, elle a suivi un déficit pluviométrique constaté sur plusieurs années. À l'exception du Sud-Est, ce déficit dure souvent depuis 2003, avec des précipitations comprises entre 60 % et 80 % des normales. Résultat : le niveau des nappes souterraines a graduellement baissé.
Cet épisode nous pose question. Va-t-il se répéter ? À moyen comme à long terme, les modèles des changements climatiques prévoient plutôt un déficit de pluies, de l'ordre de 10 à 30 %. Avec un réchauffement qui augmentera l'évaporation et les besoins des particuliers, et conduira mécaniquement à une augmentation des prélèvements. La situation actuelle doit nous interpeller sur notre consommation.
Pourquoi les pluies de juillet n'ont-elles pas inversé la tendance ?
Elles ont apporté une amélioration en un certain nombre d'endroits. Avec un arrosage naturel qui a limité les prélèvements, elles ont aussi fourni une eau fraîche et oxygénée aux cours d'eau. Mais il faut distinguer la pluviométrie des précipitations efficaces, celles qui rechargent les nappes. Quand une goutte de pluie tombe en été, une partie s'évapore, une autre est absorbée par la végétation et le reste - presque rien -- s'infiltre et reste en surface. Pour les nappes souterraines, ce sont les pluies d'hiver qui nous intéressent, globalement de fin octobre à début mars. Il faudra un hiver très arrosé pour que l'on ait un mieux l'an prochain, voire deux ou trois hivers pour certaines nappes.
La situation peut-elle encore se tendre d'ici à la fin de l'été ?
S'il ne pleut pas assez, les prélèvements auront lieu sur des nappes déjà très basses. Nous nous acheminons vers un mois ou deux très tendus, oui. Heureusement, les mesures préfectorales de restriction d'usage de l'eau ont été prises précocement, ce qui a stabilisé les niveaux.
Le volume des pluies a baissé, mais est-ce que la consommation a augmenté ?
Sur le plan national, les prélèvements sont stables. L'usage industriel de l'eau baisse légèrement, à cause de la fermeture de sites industriels et de l'amélioration des process, qui deviennent plus économes. Pour l'agriculture, la consommation varie énormément d'une région à l'autre, il est difficile de tirer des conclusions. Le problème des prélèvements agricoles est connu : ils prennent place sur une période courte qui correspond au stress hydrique des plantes. Mais l'acquisition des données sur les volumes prélevés reste quelque chose de récent, on manque un peu de recul. Elle n'a pas été systématique avant la fin des années 1990.
Consomme-t-on trop ?
L'équation est simple. Pour chaque nappe souterraine qui alimente les rivières ou qui fournit de l'eau potable, la somme des prélèvements faits par l'homme doit rester inférieure aux précipitations efficaces. On doit s'en tenir à cette arithmétique-là.
Propos recueillis par Jean-Denis Renard
« Sud Ouest ». Le niveau très bas des nappes est-il exceptionnel ?
Ariane Blum. À l'échelle hexagonale, nous vivons une situation exceptionnelle, avec des niveaux historiquement bas. C'est variable d'une nappe à l'autre, voire d'un point de contrôle à un autre, mais la situation est particulièrement tendue sur les bassins parisien et aquitain. Le nord de Rhône-Alpes nous inquiète aussi. Dans ces régions, les nappes se rechargent très lentement.
Quelles en sont les explications ?
Comme en 1976, comme au milieu des années 1990, nous avons été confrontés à une sécheresse qui a commencé très tôt en hiver. Cette fois-ci, elle a suivi un déficit pluviométrique constaté sur plusieurs années. À l'exception du Sud-Est, ce déficit dure souvent depuis 2003, avec des précipitations comprises entre 60 % et 80 % des normales. Résultat : le niveau des nappes souterraines a graduellement baissé.
Cet épisode nous pose question. Va-t-il se répéter ? À moyen comme à long terme, les modèles des changements climatiques prévoient plutôt un déficit de pluies, de l'ordre de 10 à 30 %. Avec un réchauffement qui augmentera l'évaporation et les besoins des particuliers, et conduira mécaniquement à une augmentation des prélèvements. La situation actuelle doit nous interpeller sur notre consommation.
Pourquoi les pluies de juillet n'ont-elles pas inversé la tendance ?
Elles ont apporté une amélioration en un certain nombre d'endroits. Avec un arrosage naturel qui a limité les prélèvements, elles ont aussi fourni une eau fraîche et oxygénée aux cours d'eau. Mais il faut distinguer la pluviométrie des précipitations efficaces, celles qui rechargent les nappes. Quand une goutte de pluie tombe en été, une partie s'évapore, une autre est absorbée par la végétation et le reste - presque rien -- s'infiltre et reste en surface. Pour les nappes souterraines, ce sont les pluies d'hiver qui nous intéressent, globalement de fin octobre à début mars. Il faudra un hiver très arrosé pour que l'on ait un mieux l'an prochain, voire deux ou trois hivers pour certaines nappes.
La situation peut-elle encore se tendre d'ici à la fin de l'été ?
S'il ne pleut pas assez, les prélèvements auront lieu sur des nappes déjà très basses. Nous nous acheminons vers un mois ou deux très tendus, oui. Heureusement, les mesures préfectorales de restriction d'usage de l'eau ont été prises précocement, ce qui a stabilisé les niveaux.
Le volume des pluies a baissé, mais est-ce que la consommation a augmenté ?
Sur le plan national, les prélèvements sont stables. L'usage industriel de l'eau baisse légèrement, à cause de la fermeture de sites industriels et de l'amélioration des process, qui deviennent plus économes. Pour l'agriculture, la consommation varie énormément d'une région à l'autre, il est difficile de tirer des conclusions. Le problème des prélèvements agricoles est connu : ils prennent place sur une période courte qui correspond au stress hydrique des plantes. Mais l'acquisition des données sur les volumes prélevés reste quelque chose de récent, on manque un peu de recul. Elle n'a pas été systématique avant la fin des années 1990.
Consomme-t-on trop ?
L'équation est simple. Pour chaque nappe souterraine qui alimente les rivières ou qui fournit de l'eau potable, la somme des prélèvements faits par l'homme doit rester inférieure aux précipitations efficaces. On doit s'en tenir à cette arithmétique-là.
Propos recueillis par Jean-Denis Renard