Les vitraux perdus à Auch il y a 30 ans retrouvés au Qatar
Huit de l'ensemble des 10 vitraux de la chapelle des Ursulines ornent aujourd'hui le chœur de la cathédrale de Doha, la capitale du Qatar. Des vitraux signés Emile Hirsch sur lesquels on retrouve les blasons des archevêques d'Auch. / Photo Flora Desponts
BERNADETTE FAGET
Patrimoine
Les vitraux de Auch |
Des internautes viennent de mettre l'historien Jacques Lapart sur la piste de vitraux auscitains, disparus depuis 1976. Ils ornent la toute neuve cathédrale de Doha, capitale du Qatar.
« Il y a sur ces vitraux quelques blasons d'archevêques d'Auch que j'ai authentifiés via les archives diocésaines. Ce que me confirme l'un de mes anciens élèves, séminariste à Rome, très fort en héraldique; il précise que d'autres blasons correspondent à des familles gersoises d'Ursulines qui ont payé les vitraux lors de la construction de la chapelle vers 1870. »
Jacques Lapart, Conservateur des antiquités et objets d'art du Gers, arrive au bout d'une enquête qui le tient en haleine depuis l'automne. Il vient de retrouver dans la cathédrale de Doha, récemment consacrée, un exceptionnel patrimoine gersois : partie de l'ensemble des grands vitraux de la chapelle des Ursulines, démolie en septembre 1976 pour laisser la place au gymnase Viala. Des vitraux signés Émile Hirsh, grand maître verrier parisien du XIXe siècle.
« C'est en fait la fausse piste d'un internaute toulousain me demandant des renseignements sur les vitraux d'une hypothétique abbaye de Pessan qui m'a parmis de dénouer les fils de l'énigme des vitraux de Doha, raconte Jacques Lapart. Il n'y a jamais eu d'abbaye pessannaise. Quant aux vitraux gersois de la taille d'une cathédrale nationale, ils m'ont ramené à cette chapelle des Ursulines que la plupart des Auscitains ont oubliée ».
Pendant qu'à Doha, la journaliste Flora Desponts, ancienne élève de Jacques Lapart au collège Salinis, était appelée à la rescousse par son prof d'histoire pour photographier les vitraux désormais qataris, nous partions dans les archives de La Dépêche du Midi en quête d'une démolition des Ursulines qui n'avait pas dû passer inaperçue. L'événement est en effet rapporté dans l'édition du 18 septembre 1976 sous la plume d'Henri Dufor. On y apprend entre autre que l'entreprise nogarolienne Pesquidous, spécialisée dans la récupération lors de ce genre de travaux, a emporté « les pierres de taille en bon état et les vitraux ainsi que les statues en terre cuite… à l'exception d'un vitrail du XVIIe siècle pouvant provenir du monastère de Saint-Orens ».
ILS AVAIENT DISPARU PENDANT PLUS DE 30 ANS
D'antiquaires en amateurs d'art religieux, les vitraux des Ursulines vont disparaître de la circulation pendant plus de 30 ans. Jusqu'à ce qu'un maître verrier béarnais soit officiellement invité à les restaurer à la demande des Qataris, soucieux d'afficher leur tolérance en édifiant leur première cathédrale catholique.
Trésor, alors méconnu, du patrimoine auscitain, les vitraux des Ursulines qui ont regardé des générations de jeunes filles du collège Carnot faire leur gym dans la chapelle désacralisée, pavoisent désormais en terre musulmane.
Quand les Ursulines étaient gymnase du collège Carnot
Élève d'Eugène Delacroix, Émile Hirsch (1832-1904) est un grand maître verrier français du XIXe siècle. Il s'est spécialisé dans les grandes compositions à sujets historiques. On lui doit la restauration des vitraux des cathédrales de Chartres, La Rochelle, des églises Saint-Séverin et Saint-Thomas d'Aquin à Paris. Appelé à Auch par Viollet-le-Duc dans le cadre de travaux de restauration de la cathédrale, Émile Hirsch y séjourne à la fin des années 1860. C'est à ce moment-là que la congrégation des Ursulines lui commande l'ensemble des vitraux de leur chapelle en construction. Consacrée le 24 juin 1873 par Mgr de Langalerie (dont on retrouve le blason sur l'un des vitraux de Doha), la chapelle est désacralisée peu après 1905. Elle ne va pas tarder à servir de gymnase aux jeunes filles du collège Carnot qui la jouxte de l'autre côté de l'actuelle rue Viala. Les Éclaireurs occupant la sacristie.
« Mauvaise qualité de la roche et chutes fréquentes de pierre », la vétusté du bâtiment, dangereux dans un site scolaire, conduit la municipalité de Jean Dours à démolir, en 1976, ce vaste édifice qui aura vécu tout juste 100 ans. Sur ses fondations est alors bâti le gymnase Viala, cher au club d'escrime. La passion du patrimoine n'étant pas encore née, les ornements du culte, qui apportent désormais la lumière chrétienne au Qatar, avaient été laissés aux bons soins d'un antiquaire.
BERNADETTE FAGET