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jeudi 13 décembre 2012

Les caves de la République

La cave de l'Elysée n'est pas très loin du centre de commande de l'arsenal nucléaire français, et l'endroit est presque aussi secret.
le choix des crus servis à la table présidentielle est aussi politique
Hormis le personnel habilité, il est impossible de la visiter et la porte est blindée comme celle d'un coffre-fort. Quinze mille bouteilles y sont couchées. Tout ce qui se fait de mieux dans le vignoble français : les Châteaux Ausone, Petrus, Figeac, Yquem, les très grands noms de la Bourgogne, une collection de champagnes millésimés. C'est ici que la République préserve un bout de son prestige et l'une des armes de sa diplomatie.
Ce ne sont pas tant les présidents qui boivent : ce sont leurs hôtes qui attendent de jauger si la France est à la hauteur de sa réputation. Virginie Routis, la sommelière de l'Elysée depuis 2007, sait combien le choix des crus servis à la table présidentielle est aussi politique. "Je choisis les vins en fonction du menu, mais aussi du protocole. Pour un chef d'Etat, il y aura sur la table quelques grandes étiquettes. Un Château d'Yquem sur le foie gras, et sur les viandes un Léoville Poyferré 1998, par exemple, prestigieux saint-julien, second cru classé en 1855." Pour de simples parlementaires ? "Des découvertes, chez de plus petits vignerons qui font de très bonnes choses", sourit-elle.
Bordelaise, diplômée du lycée d'hôtellerie de Gascogne, puis sommelière dans de grands restaurants étoilés en Grande-Bretagne avant d'atterrir à l'Hôtel Bristol, à trois pas de l'Elysée, Virginie Routis est cependant tenue à un strict devoir de réserve. Impossible de connaître son budget ou le nombre de romanée-conti qui dorment dans la cave du palais. "Mais j'ai l'obligation d'acheter des vins dans toutes les régions françaises - il n'y a aucun vin étranger à l'Elysée - et je reçois tous les vignerons afin de goûter avec eux leurs vins", dit-elle. Rares sont les propriétaires qui offrent des magnums à la République, mais l'Elysée obtient parfois des réductions sur le prix des caisses. François Hollande n'est encore jamais venu dans ce repaire. Nicolas Sarkozy, qui ne buvait pas une goutte d'alcool, n'y avait pas plus mis les pieds. Mais Valérie Trierweiler l'a visité, comme avant elle Carla Bruni, qui servait chez elle des vins italiens.
La cave de l'Elysée n'est pas sans rivale. Celle du Quai d'Orsay compte, parmi ses dix mille bouteilles, l'une des plus belles collections de champagnes millésimés et de grands blancs de Bourgogne, que l'on sert dans les verres des Cristalleries de Saint-Louis, devant des couverts en argent vermeil siglés "AE", pour "Affaires étrangères". Alain Juppé, maire de Bordeaux, et Dominique de Villepin, amateur de grands crus, tenaient à ce que les vins soient à l'honneur. Villepin, surtout, n'a jamais manqué de dire, dans ses toasts, quelques mots lyriques sur les breuvages servis à ses homologues. Dans chaque ambassade de France à l'étranger, on organise désormais des soirées dégustation pour faire la promotion, à New York ou à New Delhi, de l'une des rares productions où la France a gardé sa suprématie.
La présidence du Sénat, deuxième table de la République, entretient elle aussi une très belle collection, regroupant des grands classiques, de jeunes vignerons de talent et de grands vins étrangers d'Italie, d'Espagne ou d'Afrique du Sud. Il faut voir les palais de la République rivaliser lorsqu'il s'agit d'honorer un hôte étranger de marque. Le chef de cave de Matignon, officier de marine comme le veut la tradition, n'avait ainsi pas hésité à servir à la reine Elizabeth II, en visite officielle en France en 2004, un très étonnant Provignage, vin blanc de Touraine issu des rares vignes préphyloxériques, c'est-à-dire plantées sous le Second Empire. Il fallait faire original face à des Anglais qui n'ont jamais caché qu'ils se considèrent comme de meilleurs amateurs que leurs rivaux d'outre-Manche. A chaque visite d'un président français à Buckingham, la reine n'a-t-elle pas toujours fait servir d'extraordinaires vins français, de 1945, année de la victoire, ou de 1961, l'un des plus grands millésimes du siècle dans le Bordelais ?
Le vin, c'est pourtant toute l'histoire de la France. Le plus souvent réservé à l'aristocratie sous l'Ancien Régime, il est devenu révolutionnaire en 1789. Le rouge est mis au bonnet des sans-culottes et dans les tonneaux qui enivrent les émeutiers. A la veille de 1848, la glorieuse campagne des Banquets permet aux réformistes de faire tomber la monarchie de Juillet et de préparer la révolution. Depuis, la République a pris l'habitude de trinquer à elle-même. Longtemps, dans chaque département, dans chaque circonscription, dans chaque commune, après le traditionnel discours sous le préau de l'école, tout candidat à l'élection législative invitait ses fidèles à un banquet républicain.
La tradition ne s'est pas encore totalement perdue. Dans les années 1970, lors du dîner annuel des corps diplomatiques, on servait encore aux cinq cents invités sept plats accompagnés de sept vins différents : les Châteaux Lafite-Rothschild, Mouton-Rothschild, Ausone ou Cheval Blanc sur les viandes, les grands montrachets, les meursaults Genevrières, les corton-charlemagne sur les poissons, de grands vins doux naturels sur le fromage et un Yquem pour le dessert.
A l'Elysée, Valéry Giscard d'Estaing avait introduit la nouvelle cuisine, plus légère et tellement plus en vogue dans ces "seventies" où l'on jetait par-dessus les moulins tout ce qui avait fait les déjeuners du dimanche de la bourgeoisie traditionnelle : le conservatisme des conversations et les plats en sauce. Le nouveau président était "très Bordeaux". Avec lui, la cave de l'Elysée redonna une place prédominante aux grands châteaux du Médoc. Son nouveau rival, Jacques Chirac, menait pourtant sa campagne pour la Mairie de Paris, en 1977, en trimbalant dans sa voiture des caisses de champagne Dom Pérignon. "Comme James Bond !", disaient partout ses supporteurs, sans craindre que ce goût affiché pour le champagne puisse contredire l'image populaire construite patiemment à coups de fourchette dans des plats canailles.
François Mitterrand, élu de la Nièvre, déjeunait dans les auberges bourguignonnes de plats du terroir arrosés de mâcon blanc, et descendait avec François de Grossouvre jusqu'à la propriété de ce dernier, près de Moulins, en faisant halte auprès des vignerons de Saint-Pourçain. En 1981, Pierre Mauroy, le premier ministre des espérances de la gauche, découvrit peu à peu le faste des palais de la République. Des mois après son arrivée, on lui fit visiter la Lanterne, cette résidence alors réservée aux premiers ministres, dans le parc du château de Versailles. Aux beaux jours, les services de l'intendance y convoyaient, juste avant sa venue, mets et vins. Mais le premier ministre, conscient de devoir préserver sa culture populaire, tint toujours à la discrétion. Dès le lendemain du 10 mai 1981, Fidel Castro avait envoyé à François Mitterrand et à Pierre Mauroy des boîtes de cigares de La Havane. Le premier ministre, plongé dans l'enfer de Matignon, s'offrait donc un cigare, le soir, en regardant le journal télévisé.
De l'autre côté de la rue de Varenne, le chef Alain Senderens avait ouvert depuis 1971 son trois-étoiles, L'Archestrate - nommé ainsi en hommage au grand cuisinier de l'Antiquité. Jacques Chaban-Delmas, Pierre Messmer, Raymond Barre ou Jacques Chirac commandèrent tour à tour des dîners au grand chef, que les jeunes appelés faisant leur service militaire dans les cuisines de l'Elysée allaient chercher. Pierre Mauroy, lui, avait un faible pour le homard imaginé par le chef. Mais comment l'assumer ? On trouva la parade : plutôt que de commander pour le premier ministre ce fameux homard, on usa du terme plus politiquement correct de "pot-au-feu de la mer", pour lequel le sommelier de Matignon débouchait un chablis...
Entre 1986 et 1988, seul Edouard Balladur, ministre d'Etat chargé de l'économie et des finances, osa organiser de grands dîners à la française, allant jusqu'à les faire servir par des laquais en livrée XVIIIe. Retranché dans une aile du palais du Louvre, il entendait ainsi défier le président François Mitterrand, qui préparait le déménagement de son ministère à Bercy pour enfin redonner son lustre au musée. Balladur n'y gagna qu'une image ineffaçable d'aristocrate d'Ancien Régime et les honneurs du dessinateur du Monde, Plantu, qui l'avait affublé d'une perruque Louis XV et d'une chaise à porteurs...
La crise économique et les scandales sur le train de vie de l'Etat et des élus ont rendu les hommes politiques plus prudents. Lionel Jospin, devenu premier ministre en 1997, se mit à surveiller sa ligne : "Je m'étais dit qu'il ne fallait pas que je grossisse, car, dans l'esprit des Français, cela donne : 'Il se goberge !'"
Mais les campagnes électorales, surtout en secteur rural, continuent de se faire au zinc des bistrots, incontournables relais d'opinion dans le Périgord, comme en Bretagne ou en Moselle. Ségolène Royal, en 2007, prenait ainsi toujours soin de goûter devant les photographes les vins des vignerons qui la recevaient, sachant que son rival, Nicolas Sarkozy, évitait soigneusement les verres qu'on lui tendait. Et il y a, parmi les élus, quelques véritables connaisseurs. Cependant, on se souvient encore de la terrible gaffe de cette jeune énarque socialiste parachutée candidate aux législatives dans le Calvados. Dans chaque ferme, chaque sous-préfecture, on lui proposait un verre. Et elle, avec un manque de sens politique qui glaçait ses soutiens, répondait ingénument : "Non merci, jamais pendant la campagne !" Elle fut battue.
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