L'Ethiopie s'est lancée dans la production de vin avec l'aide d'une entreprise française
ZEWAY (ETHIOPIE), ENVOYÉ SPÉCIAL - Faire du vin en Ethiopie, dont les images de famine ont fait le tour du monde, pourrait sembler absurde, voire même indécent. Mais ce serait oublier que ce pays de 88 millions d'habitants a une superficie équivalente à celle de deux fois la France et que la malnutrition frappe essentiellement l'extrême sud du pays, une région aux frontières du Kenya et de la Somalie.L'Ethiopie n'est pas qu'une terre aride. Le pays possède un environnement très diversifié qui se compose aussi de hauts plateaux, de vallées luxuriantes, de dizaines de lacs et de volcans. On y compte six zones climatiques différentes.
L'idée de produire du vin en Ethiopie ne date pas d'hier. Les soldats italiens, qui ont partiellement occupé le pays de 1936 à 1941, avaient planté quelques vignobles aux alentours de la capitale, Addis-Abeba, et dans le Sud-Est, mais uniquement pour leur consommation personnelle.
"AMÉLIORER L'IMAGE DE NOTRE PAYS"
Le projet est cette fois différent, notamment parce qu'il devrait permettre au pays degagner quelques devises. Lancé en 2007 par le gouvernement éthiopien et le groupe français Castel – déjà implanté dans le pays grâce notamment à la bière et aux brasseries –, le projet s'inscrit aussi dans une démarche de diversification de l'agriculture et de promotion de ses produits.
"Si ce vin peut contribuer à améliorer l'image de notre pays, alors le pari sera gagné, affirme Robel Seido, responsable des ventes au sein de la société Castel.Nous envisageons d'exporter près de la moitié de notre production, notamment aux Etats-Unis, où réside une forte communauté éthiopienne." Les autres bouteilles seront destinées au marché intérieur, mais dans un niveau de gamme largement supérieur aux quelques vins de table déjà existants.
Il aura fallu sept mois de recherche pour choisir l'emplacement du nouveau vignoble. Le site de Dire Dawa, à l'est du pays, fut initialement retenu. Mais difficilement accessible par camion et estimé trop proche de la Somalie, pays frappé par une guerre civile depuis 1986, l'idée fut abandonnée.
800 000 BOUTEILLES PAR AN
C'est finalement à quelques encablures de la ville de Zeway, à 170 km au sud d'Addis-Abeba, que 750 000 pieds de vigne ont été plantés en 2008. L'opération a nécessité l'emploi de 750 personnes, principalement issues de la région.
Acheminées depuis la région bordelaise, les vignes s'étendent sur un domaine de 125 hectares et devraient permettre une production d'environ 800 000 bouteilles par an. Les cépages choisis sont tous français : merlot, syrah et cabernet sauvignon pour le vin rouge (90 %); chardonnay pour le blanc (10 %). Comme le veut la tradition et surtout pour alerter en cas d'affection d'oïdium, une maladie qui touche les vignobles, un rosier a été planté à l'extrémité de chaque rangée de pieds.
"Le sol est légèrement sableux et nous sommes dans une zone tempérée où le climat est idéal, explique Olivier Spillebout, œnologue chargé de la qualité de la production. Les conditions climatiques pourraient même permettre d'effectuer deux vendanges par an. Mais, comme nous souhaitons privilégier la qualité, nous n'en ferons qu'une seule… On devrait obtenir des vins légers et fruités."
INTRUSIONS DE PYTHONS, DE HYÈNES, D'HIPPOPOTAMES
Les premières vendanges auront lieu début novembre et la commercialisation des bouteilles est prévue pour le premier trimestre 2012. A terme, l'objectif est deconcurrencer les excellentes productions sud-africaines, considérées aujourd'hui comme les meilleures du continent.
Mais planter des vignes au cœur de la vallée du Rift, au bord d'un lac situé à 1600 mètres d'altitude, ne se fait pas sans quelques péripéties. "On a eu des intrusions de pythons, de hyènes et même d'hippopotames dans le vignoble, se souvient Guy Campillo, responsable du domaine. On a donc creusé un fossé de deux mètres autour de la vigne pour la protéger. Depuis, tout va bien !"
Début août, il restait à attendre que les raisins arrivent à maturité, à finir les murs de la cave et à débâcher les dizaines de cuves en inox. Juste à l'extérieur du domaine, on pouvait apercevoir un troupeau d'antilopes.
Pierre Lepidi